[ Phenix Kelen ]

« Tout se perd, tout se resserre, tout finit... »

Le temps est gris, le temps est froid. La poussière recouvre le sol depuis longtemps. Dans l'ombre d'un combat, seuls des cadavres sont à terre. Le peu de blessés ayant encore un souffle de vie s'était levé afin de fuir. Mais fuir ne servait à rien. Le seul à ne souffrir d'aucune blessure se tenait au-dessus de la scène, sur une haute pierre grise. Son regard s'étendait, songeur, sur les effectifs de cette tuerie dont il n'avait pas pris part. La colère ne se lisait même pas sur son visage. Il semblait calme, presque ravivé par ce sinistre spectacle. Sous une forme humaine, Alucard était vraiment un bel humain. Ses yeux scintillaient comme la braise et son visage fin, arrogant, le rendait charismatique. Il n'avait pas le physique brutal de certains des siens, il avait su conserver une apparence plutôt frêle. Après quelques minutes à regarder encore et encore les lieux ravagés par la guerre, il sauta de la roche afin de commencer à s'éloigner. C'est à cet instant qu'un bruit se fit saisir, un bruit pourtant si infime que peu l'auraient entendu. Mais Alucard avait les facultés des siens bien plus évoluées, il était capable de se transformer comme bon lui ressemblait et possédait un nombre de pouvoirs illimités. Son instinct lui dictait de continuer, son cœur lui disait de s'arrêter. Et comme son point faible était ce dernier, il obéit à son cœur.

Sous sa gorge dénudée se tenait à présent un coutelas. Fine, la lame semblait forgée dans les mines elfiques. Encore un ustensile volé à la Lumière. Tous ces massacres ne faisaient rien au lycanthrope qui n'avait rien à craindre de celui l'ayant agressé. La lame s'enfonça légèrement en travers de sa gorge et un large filet de sang s'en découla. Une main aux longs doigts fragiles s'aventura alors sur le cou ensanglanté et essuya doucement la plaie en ramenant son bras à sa langue, se délectant du sang qu'il venait de prendre. La lame se retira alors vivement et l'être connu bondit à quelques pas en arrière, les yeux rieurs. Alucard se retourna calmement et son regard se plongea dans son propre reflet. Car face à lui ne se tenait non pas un vampire commun mais son frère jumeau, Dracula.

« Tu as une drôle de façon de me saluer. » Murmura-t-il alors en détournant le regard. « Mais cela ne m'étonne plus. De nous deux, tu as toujours été le plus joueur... »

Un léger sourire, rayonnant, s'abattit sur le visage de Dracula. Il rangea son coutelas dans l'un de ses nombreux fourreaux à sa ceinture et s'avança d'un pas lent vers son frère. Alucard ne bougea pas, l'observant d'un air absent. Puis il s'avança à son tour jusqu'à ce qu'ils soient si proches que leurs deux corps se frôlent, deux corps autrefois si semblables et à présent si différents. Le vampire baissa alors les yeux sur le filet de sang continuant de couler de la gorge de son frère. Et, presque comme un animal en soignant un autre, il prit le visage de son frère entre ses mains et lécha d'un geste fraternel la coupure. Alucard ne frémit même pas, au contraire, ses sens s'embrouillèrent à peine tandis qu'il poussa un léger soupir. Presque aussitôt, il se libéra de l'emprise de Dracula en se mettant sous sa forme de loup, reculant vivement. Le vampire ne bougea qu'à peine, se contentant d'essuyer le sang coulant de ses propres lèvres, levant le regard sur Alucard et lui offrant de nouveau un sourire presque ironique.

« Tu m'en veux toujours, n'est-ce pas ? Resteras-tu donc un chien toute ta vie ? N'es-tu pas un loup ? Mon frère, fais-moi confiance, nos deux clans ne peuvent rester côtes à côtes sans un jour avoir à s'affronter... ou s'allier... Et je ne te ferais jamais de mal, tu le sais... »

Le regard du loup luisait, ses muscles cette fois-ci tremblèrent, le doute s'installa. Les paroles de son frère continuaient de le hanter jour et nuit. Les siens l'appelaient, sa fidélité le tranchait mais à la fois il aurait aimé pouvoir aider son aîné dans sa lutte contre la Lumière les ayant tant fait souffrir... Et puis après tout, où était le problème ? Il ne pouvait de toute façon lui non plus faire du mal à son jumeau, à celui qu'il aimait le plus au monde. Combien de temps réussirait-il encore à l'ignorer ? La main de Dracula alla se poser sur la tête de son frère et il se laissa s'écrouler pour le prendre dans ses bras. Cette fois-ci, le cœur d'Alucard céda complètement. Il ferma les yeux, fourrant doucement son museau entre le cou et l'épaule de son frère. Les paroles du vampire reprirent, encore plus douces, plus vraies :

« Je ne te demande qu'un combat, un seul... Je te promets que je ne laisserais personne mourir sans le venger... La Lumière doit payer pour ce qu'elle nous a fait... Je t'aime tant, mon frère... »

Rien ne pourrait jamais les séparer, jamais. Rien ne pourrait trancher deux frères unis par de tels sentiments, rien ne pourrait jamais monter les deux êtres l'un contre l'autre... Mensonges... et si toute la Légende n'était qu'un mensonge ? Et si, derrière ce refus de voir la vérité, se tenait... une auto-destruction menée par la Lumière ?...

« ......................................................... »

Le vent soufflait fort, la bataille faisait rage. Ombre et Lumière se déchiraient, ne laissant derrière eux que cadavres et souffrances. Contre les créatures elfiques se tenaient les vampires. Seuls. Dracula observait de loin le combat, ses ailes déployées derrière lui, le visage troublé. Où étaient donc les armées de son frère censées lui venir en aide ? La bataille semblait perdue d'avance, ils étaient trop peu nombreux, une race contre plusieurs, c'était du suicide. Mais le vampire ne pouvait croire qu'Alucard lui ait menti. Il allait venir. Et ce malgré la haine que commençait à développer les siens pour ces soi-disant alliés. Alors qu'aucun espoir ne semblait encore rayonner dans les yeux des guerriers d'Ombre, un hurlement s'éleva au loin, un hurlement mélancolique.

Le chef vampire releva subitement la tête vers l'horizon, le cœur battant, reconnaissant cet hurlement entre milles. Au loin se tenaient une horde de lycanthropes, nombreux, forts. L'armée s'élança au secours des vampires, faisant trembler le sol, sous leur forme de loup-garou. Certains avaient conservé celle de loup afin d'être plus rapides, toute cette organisation ne pouvait être due que par leur meneur. Ce dernier courrait en avant, se mêlant enfin aux combats sanglants, quelques mètres avant les siens, plus rapide, plus fort. Il fondit sur l'adversaire avec rapidité, lui arrachant sans pitié la tête, le sang dégoulinant de nouveau sur le sol souillé. Dracula déploya ses ailes, s'apprêtant alors à son tour de participer aux côtés de son frère, la flamme de l'espoir ravivée en son fort intérieur.

Le combat fut sanglant. Jamais il n'y avait eu autant de morts depuis bien des milliards d'années. La Lumière avait enfin céder aux forces des ténèbres et à présent l'équilibre basculait de nouveau, rompu, corrompu... Les deux frères, à la tête de leurs clans, criaient déjà victoires. Alors qu'ils partaient de nouveau à l'assaut des survivants de l'armée adverse perdue, le soleil éclaira soudainement de ses rayons lumineux la terre. Comme si soudainement il y avait un changement de stratégie ; les vampires poussèrent des hurlements d'agonisement tandis qu'ils se réfugiaient à l'ombre, les lycans reprenaient leur forme humaine. Comprenant qu'ils avaient perdus, Alucard, à la tête des siens, poussa un grondement menaçant vers la Lumière soudaine ayant peut-être blessé son propre frère. C'est alors qu'il comprit ; ce n'était pas le soleil, non... Mais un Esprit de la Lumière. Ils n'étaient pas apparu depuis des milliards d'années... Cela signifiait donc qu'ils étaient sur le point de renverser la Lumière, mais ce fichu esprit ne pouvait pas les laisser faire, bien évidemment.

« Vous avez rompu l'Accord entre Ombre et Lumière. Vous, rebelles obscurs, serez condamnés à l'exil jusqu'à la fin des temps, jusqu'à la perte de vos deux races... Et petit à petit votre propre descendance ne s'entendra plus et s'éteindra d'elle-même à petit feu... Voilà la punition des Cieux. »

Alucard, pour toute réponse, coula un regard destructeur sur l'Esprit, continuant de gronder. Puisque c'étaient ainsi ses dernières paroles dans ce monde, il sentit soudain comme un vent assommant le plaquer à terre. Sa tête allait exploser tant elle était embrouillée en cet instant... et tout d'un coup, il sombra dans l'inconscience la plus totale...

« ......................................................... »

C'était ainsi que les deux meneurs et leurs clans, vaincus, furent exilés. C'est ainsi que commença véritablement les années noires... Naturellement, chaque clan se répartit sur le territoire et s'imposa face aux autres créatures obscures déjà présentes mais inférieures. Alucard, encore grisé par leur défaite, ne pouvait s'empêcher de douter de ses actes. Mais c'était sans compter, en son clan, le nombre de lycans le traitant comme un Dieu. Ils le soutinrent alors dans ces moments de réflexions et finalement il se fit pour amie une jeune et belle lycanthrope. Son nom a peu d'importance, elle disparut finalement dans le cœur et la mémoire du meneur ; quoi qu'il en soit, c'est de là d'où commença la lignée des meneurs Lycans, ayant du véritable sang d'Alucard coulant dans leurs veines. C'est à la suite d'une ou deux générations plus tard qu'est vraiment paru au monde Phenix. Alucard avait depuis longtemps décidé de sceller son tombeau et de reposer en paix durant quelques millénaires avant son éveil.

Phenix Kelen fut élevé par ses parents les cent premières années de sa vie. Sa naissance s'avérant difficile, sa mère ne put avoir de "Louveteaux" par la suite. C'est ainsi qu'ils décidèrent par la suite de prendre en charge un orphelin condamné à mourir sans les soins d'une mère provisoire. C'est ainsi qu'est née la complicité entre ces deux frères de cœur, River et Phenix, l'un destiné à être Roi... et l'autre destiné à mourir dans le futur d'une Malédiction. Personne n'a jamais su ce qui avait uni ces deux enfants. C'est donc ici que vous ferez le point entre la vie de ces deux lycans.

Phenix Kelen n'avait qu'une vingtaine d'années lorsque River est arrivé à titre de petit frère. Méfiant, la première réaction de ce fier fils unique fut de mépriser et de jalouser cet "intrus". Cet être indigne d'être élevé aux côtés des descendants d'Alucard et visiblement dans un état critique. Et il n'est pas non sans remarquer qu'il a déjà essayé mainte fois de le faire partir, en vain. Il en venu, dans sa cruauté sauvage d'enfance, à l'idée qu'il ne pourrait se débarrasser de lui qu'en l'attaquant par la vie. C'est ainsi qu'un jour il parvint à lui assurer qu'ils devaient partir en mission en-dehors de leurs terres, vers les falaises. Son idée était évidemment de le jeter dans les eaux déchaîner et prétexter par la suite un accident. C'est alors que, tandis qu'ils arrivaient aux lieux-dits, River se détourna au dernier moment ; Phenix, s'étant préparé à le pousser, roula et commença à tomber vers les eaux meurtrières, sans un cri...

Avant même qu'il ne parvienne à se rendre compte de la situation dans laquelle il s'était fourré, le jeune Prince sentit soudainement une douleur atroce dans son bras. En effet, River était apparu, sous sa forme de loup, et le tenait fermement par le poignet. Le sang dégoulinait, mais la douleur étant toujours présente dans la vie des lycans, Phenix ne la sentit même pas. Il était sidéré ; il était convaincu qu'à force des salissures qu'il avait fait à ce frère d'adoption, ce dernier avait finit par lui rendre sa haine. La honte et l'humiliation lui vinrent tandis que ce dernier le hissait malgré ses nombreuses blessures habituelles. Une fois parvenu en haut, reprenant son souffle, il regarda son sauveur d'un œil nouveau, empli d'une certaine gratitude. Toute la haine qu'il avait éprouvé s'était envolée. Et, croyez-le ou non, mais ému d'un tel geste, ce Prince de cruauté n'ayant jamais connu la fraternité se mit à pleurer. Des larmes rouges sang coulaient de ses yeux bleus tandis qu'il prenait dans ses bras son petit frère et l'implorait de lui pardonner, lui jurant qu'il serait toujours près de lui et que plus jamais il n'essaierait de lui faire du mal, jamais...

Ce geste émouvant d'affection fut surtout une promesse. Une promesse qu'il comptera durant toute sa vie, et qu'il compte actuellement.