Le vent... [Liiibre]

Habituellement, il aurait fait jour. Mais le ciel était couvert d'une couche nuageuse huileuse, écœurante d'aspect et de couleur, et le soleil n'apparaissait pas derrière cet écran jaunâtre. Ici, la nuit était éternelle, après tout...
Le vent, par contre, était bien présent. Il hurlait dans la forêt avec férocité, fouettant les arbres et arrachant dans son passages des myriades de feuilles et des bouts d'écorces qui s'envolaient. Sa plainte lugubre résonnait entre les troncs sombres et noueux. Puis il allait s'échouer, calmé et doux, contre les rochers, hauts visages de pierre impassibles, dômes gigantesques de granit. Les parois rugueuses étaient couvertes de plantes grimpantes presque mortes, desséchées par l'absence du soleil. Le sol était couvert de feuilles mortes, mordorées. Les plus grands arbres ombrageaient sans efficacité les versants de ces petites montagnes rocheuses, sèches et rêches, tristement grises.
Aïma attrapa entre les crocs les branches d'un arbre pour s'aider, et d'un dernier bond souple, la louve atteignit le sommet de l'un de ces immenses rochers. Les griffes raclant la pierre, les muscles roulant sous sa fourrure blanche et immaculée, l'animal fit quelques pas sur la surface inégale, avant de se laisser brusquement tomber au centre, la gueule entrouverte, les yeux mi-clos. Le vent caressait doucement ses poils blancs. Son regard, bleu foncé, se posa sur la forêt qui tout autour d'elle, s'étalait. Le panorama était impressionnant. Jusqu'à perte de vue, les arbres s'étendaient, du vert jusqu'au rouge en passant par le brun presque doré. Un tableau d'impressionniste, des points qui se superposaient pour former une palette de couleur chaudes et agréables. Les oreilles de la louve blanche se dressèrent sur sa tête, puis pivotèrent vivement. Au dessus d'elle, très loin, un unique oiseau fendait les airs. Un faucon, à en croire sa rapidité et sa furtivité. Elle leva les tête, tendant son museau fin vers le ciel, et repéra tout de suite la silhouette marron du rapace.
Le fauve se redressa légèrement, et l'espace d'un instant, il laissa sa place à une jeune fille. Du loup blanc, il ne resta plus que cette humaine fragile, pâle et menue. Son regard, tout aussi bleu, était toujours perdu dans le paysage enchanteur, mais terne de la forêt. Sa chevelure très bouclée claquait au vent, s'agitant au dessus de son épaule, malgré le cordon de cuir qui tentait tant bien que mal de retenir les épais cheveux blanc et brillants. La jeune fille ramena ses genoux contre sa poitrine pour se protéger du vent violent, froid, qui régnait au dessus de la cime des arbres. Des yeux, elle chercha l'un des siens, mais n'en voyant aucun, elle posa sa joue sur son genoux et ferma les yeux. Écoutant. Peut être que quelqu'un finirait par venir... Elle ne l'espérait pas, ni ne l'attendait. Elle le pensait, c'est tout. C'était encore l'attente, après plus de neuf cent ans de patiente...